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Photos prises sur le vif.. et quelques voeux

Bonjour à tous,

Pour débuter cette année, et en remerciant la fidélité de mes lecteurs assidus, je répondrai à une carte de voeux gentiment envoyée par une cliente (et lectrice) qui me souhaite (et vous souhaite par la même occasion) pas moins de .. 2014 posts sur le blog… (elle ajoutait toutefois autant d’encouragements).

Si je ne peux que me réjouir cet enthousiasme, je crains que même en me faisant salarier à temps plein (mais par qui ?) pour cela, la cadence soit un peu élevée (cela ferait quand même plus de 5 articles par jour, et il ne resterait alors plus rien à mettre dans les futurs livres que j’ai en projet….).  Je ne voudrais pas que les lecteurs se lassent….

Et avant de passer au premier article de l’année, je prie les dizaines de lecteurs qui envoient des mails quotidiens d’excuser le fait qu’il ne m’est pas toujours possible de répondre à tout le monde…Ceci ne dénote aucun manque d’intérêt et je lis attentivement tout ce que je reçois (même si ce n’est pas toujours dans la minute), mais il me faut également vivre de ma profession…  lorsque le sujet abordé dans les mails justifie un article, celui-ci finit toujours par arriver, ou par être intégré à la mise à jour de l’ouvrage concerné… Et lorsque les mails font état d’une question impliquant l’ouverture d’un dossier, j’en discute bien sûr avec les intéressés aussi rapidement que possible, afin de ne pas les laisser dans l’embarras.

Ceci étant précisé, je vous suggère pour débuter l’année une analyse de jugement en droit d’auteur…  la difficile question (eh oui, encore elle…. nous n’en aurons jamais fini, je le crains) de l’originalité des photos prises “sur le vif” (ici lors du légendaire festival de Woodstock) et de la responsabilité de l’éditeur qui doit vérifier les droits de chacun.

Les faits

Un photographe américain qui avait couvert le légendaire festival de Woodstock en 1969  en avait retiré une centaine de photographies (c’était avant le numérique…  aujourd’hui la cadence serait différente) reproduites dans un premier temps dans un ouvrage publié par un éditeur américain.

Mécontent d’un dépassement, par ce même éditeur, des limites de la cession de droits intervenue, le photographe avait assigné devant une juridiction d’outre-Atlantique l’éditeur en question.

Parallèlement à cela, il avait découvert qu’un éditeur français avait à son tour publié 7 photographies dont il se disait l’auteur dans un ouvrage paru dans l’hexagone sur le même sujet, et avait assigné cet éditeur en contrefaçon des photographies en réalité transmises par l’éditeur américain à son homologue français.

L’éditeur français avait dans un premier temps sollicité que le tribunal sursoie à statuer dans l’attente du jugement américain mais sa demande avait été rejetée et l’affaire fut donc jugée sur le fond.

Le jugement (TGI Paris, 11/3/2011, RG 09/08350)

Sur le fond, et suivant une habitude de plus en plus répandue, la défense de l’éditeur fut donc articulée en 2 étapes, auxquelles s’ajoutait une argumentation liée aux circonstances précises dans lesquelles l’édition était intervenue :

. il contestait la qualité d’auteur des photos du demandeur (du moins pour 2 des 7 photographies)

. il contestait l’originalité, et dès lors la protection par le droit de la propriété intellectuelle;

. et par ailleurs, sachant que les photos lui avaient été transmises par l’éditeur américain lui-même (celui contre lequel le photographe était en procès aux USA), il invoquait des échanges d’eMails pour démontrer que le photographe ne s’était pas opposé à la reprise de certains clichés dans les livres publiés en France et en Angleterre

1) Sur la qualité d’auteur

Sur la qualité d’auteur, le Tribunal a en effet relevé qu’il existait une ambiguïté et a considéré que le demandeur ne rapportait pas de preuve suffisante de sa qualité d’auteur d’une photo représentant Janis Joplin, ainsi que d’une photo prise dans le public, représentant un homme tatoué. A défaut pour le demandeur de pouvoir produire le négatif, il fut débouté de ses demandes concernant ces deux images.

2) Sur l’originalité

Restait alors, pour les 5 autres, la question de l’originalité des photos. Le Tribunal, reprenant une formulation qui me fait toujours bondir puisqu’elle fait dire au Code de la propriété intellectuelle quelque chose qui n’y figure pas, estime que les dispositions de l’article L112-1 du Code de la Propriété intellectuelle protègent par le droit d’auteur toutes les oeuvres de l’esprit, pourvu qu’elles soient des créations originales.” (jugement, page 4)

Pour rappel, VOICI précisément ce que dit l’article L112-1 du CPI :

L’éditeur français concerné invoquait donc que la marque de la personnalité (du demandeur), qui ne relèverait ni de la posture des sujets photographiés, ni du cadrage banal, ni des choix techniques du photographes, inexistants dans ces photographies prises sur le vif, ne serait pas démontrée“.

Mais à cet égard, le Tribunal fait heureusement preuve de plus de bon sens en accueillant la demande du plaignant dans les termes suivants :

Cependant, ainsi que le soutient (le demandeur), le fait que des photographies soient prises de manière spontanée sur le terrain et non en studio ne suffit pas à leur ôter toute originalité alors que l’expression des modèles, artistes ou habitants de Woodstock, a été captée par lui avec une maitrise propre à diffuser leur caractère et leur personnalité, comme c’est le cas des clichés reproduits en couverture, en pages  /…./ ou que l’angle qu’il a choisi permet de saisir l’immensité de la foule et le caractère historique de l’événement qu’a été ce festival. En conséquence, les 5 photographies empreintes de la personnalité de leur auteur, bénéficient de la protection prévue par le Livre I du Code de la Propriété intellectuelle.” (Jugement, page 5)

Et ce n’est pas la jurisprudence constante sur l’une des plus célèbres photos “prises sur le vif” (celle du Che Guevara par Korda, dont j’ai souvent parlé) qui pourra démentir cette appréciation.

3) Sur la transmission des photos par l’éditeur américain

A cet égard, le Tribunal applique fermement la loi, et considère “qu’il convient de rappeler qu’en vertu des dispositions de l’article L131-3 du Code de la Propriété intellectuelle, la transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée”. Or, il n’est pas contesté que (le demandeur) n’a en aucune manière autorisé par écrit la reproduction dans le livre édité par (la défenderesse) des 5 photographies litigieuses. Dès lors qu’aucune cession n’est donc intervenue, l’atteinte aux droits patrimoniaux (du demandeur) est constituée.” (jugement, page 6).

(Note : il n’est question ici que des droits patrimoniaux dans la mesure où le crédit photographique, sur les 5 photos concernées, avait bien été respecté, et que celles-ci n’avaient pas été dénaturées.)

Au final par contre, et pour une contrefaçon impliquant notamment une photo reprise en couverture, l’indemnisation ne fut pas très élevée (3000 €).

Qu’en retenir ?

Je suis frappée par le contraste entre l’application stricte des principes du Code, notamment pour ce qui est de l’absence d’autorisation écrite et spécifique quant à la publication des photographies en France (argument n°3), et le fait que la jurisprudence s’installe – quant à l’originalité – dans l’affirmation de conditions que la loi française ne prévoit pas.

L’attendu que j’ai cité, et selon lequel le Tribunal – à la suite de tant d’autres juridictions – affirme froidement que le Code ne protège les créations “que pour autant qu’elles soient originales”, semble être pourtant en contradiction totale avec le libellé exact de cet article. Je me sentirais bien seule dans cette argumentation, face à la persistance des jurisprudences de ce genre, si d’autres auteurs ne venaient heureusement conforter ma position. Et je me réfère à cet égard à ce que j’écrivais dans cet article : “Originalité” Mais d’où ça vient ?

Me Jean VINCENT développait une argumentation qui me parait toujours imparable à ce niveau.

Je continue à ne pas comprendre qu’on puisse ainsi s’écarter à ce point d’une disposition légale que l’on cite pourtant en fondement d’un raisonnement…

Si encore il était question de citer le droit européen qui, lui, au titre d’un minimum de protection, fait en effet mention d’une condition d’originalité, les choses seraient – à tout le moins juridiquement – plus claires. Mais l’évolution actuelle me laisse perplexe.

Affaire à suivre donc, mais que ceci ne vous empêche pas de débuter l’année en beauté.

Joëlle Verbrugge

7 commentaires sur cet article

  1. Il y a une chose qui me laisse perplexe dans ton article : l’éditeur français contestait la qualité d’auteur du photographe, alors qu’il l’avait pourtant bien crédité dans le livre ? Est-ce que ça n’aurait pas du jouer en faveur du photographe devant le tribunal, de voir que l’éditeur reconnaît l’auteur publiquement dans le livre, mais ne le conteste devant le tribunal que pour éviter de devoir payer ce qu’il lui doit ?

    1. Oui, c’est toute l’ambiguité et le côté surréaliste de ce type de défense.
      Regarde également l’article que j’avais nommé “Brume épaisse sur la Champagne Ardennes”… dans cette affaire-là il y avait eu une première cession de droits, mais dont les limites avaient été dépassées par le cessionnaire, qui ensuite était malgré tout venu contester l’originalité…

      Je n’ai aucune explication rationnelle et logique à donner
      Un avocat avec qui je m’étais entretenue de cette question lors d’une formation professionnelle semblait quant à lui trouver que ça ne posait aucun problème.. qu’à partir du moment où il y avait eu dépassement de la cession d’origine, on se replaçait dans une situation identique à celle où aucun contrat n’avait existé

      Je ne partage pas cette opinion, mais ça ne signifie pas que mon analyse soit la bonne…

    2. Que l’éditeur en tort essaie de faire valoir ce genre d’argument, ça ne me choque pas tant que ça (après tout, son but, c’est juste de trouver une raison pour ne pas payer, quelle qu’elle soit). Mais il me semblerait logique qu’à partir du moment où l’éditeur a montré qu’il connaissait l’auteur des photos de cette manière, le juge le lui renvoie à la figure en lui disant que cet argument ne tient pas puisque ce n’est que de la mauvaise foi au regard de ce qu’il a reconnu dans ses crédits photos. Enfin bon, je suis pas dans la tête des juges, donc je comprends pas trop comment ils fonctionnent…

    3. Totalement d’accord.. et c’est précisément parce que je ne comprends pas non plus pourquoi les magistrats ne tiennent pas compte de ce type d’argument que je suis bien souvent scotchée par le contenu des décisions…

  2. Bonjour
    Lorsque j’explique à mes stagiaires la défintion de la photographie pour remettre d’entrée les choses à plat, je leur dit ceci
    Voici les 4 piliers de la photographie
    1 LE SUJET qui déclenche l’acte photographique (l’envie de montrer, partager, faire connaitre ce qui est en fait de l’émotion)
    le photographe dirige ses modèles, adopte un angle, un cadrage. (respect des règles d’or propre à tous les domaines artistiques)
    2 LA LUMIERE qui rèvèle le sujet (nous ecrivons avec la lumière) . De sa qualité, de son angle dépend la mise en valeur du sujet
    le photographe la ressent de façon presque instinctive
    3 LA TECHNIQUE du materiel de prises de vues, du materiel d’éclairage d’appoint et des logiciel de traitement.
    Le photographe en assure la maîtrise pour exprimer parfaitement ce qu’il ressent
    4 LE REGARD qui est l’outil de sa personnalité et qui bien sûr diffère selon chaque être humain
    Je ne vois pas comment l’originalité peut être écartée des infinies possibilités générées par ces quatre piliers ????????

    Peut-être devrait-on expliquer cela aux juges

    Portez-vous bien

  3. Il y a des Juges qui sont experts d’art… hélas d’autres pensent qu’ils le sont… Tout n’est qu’appréciation… 3 fois hélas…
    C’est quand même regrettable que le photographe ne puisse pas présenter ses 2 originaux… cela peut aussi fausser l’appréciation… pour la suite… car la susceptibilité est une empreinte originale dans les tribunaux…

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