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Vous aimez la peinture ? Surtout ne le dîtes pas…

Bonjour

L’article d’aujourd’hui est consacré à la notion d’originalité (ça faisait longtemps)…

Rappelez-vous déjà de cet article dans lequel je vous parlais d’une juridiction qui avait débouté un photographe de sa demande en estimant que les règles de composition qu’il avait mises en œuvre n’étaient pas nouvelles, puisqu’elles étaient déjà présentes dans la peinture des grands maîtres classiques.

Ici, le litige est différent, mais au final, c’est sur base d’une motivation comparable que la Cour d’appel tranche.

Les faits

Un photographe avait réalisé une photographie de Laure Manaudou lors d’une séance organisée, et expliquait qu’il avait “instauré une ambiance sensuelle par le jeu des couleurs et des lumières (lumière blanche diffuse, arrière plan de couleur blanche, apposition d’une serviette blanche sur le matelas de la banquette, choix d’un pantalon de couleur blanche, mise en valeur de la peau dénudée) ainsi que par le choix de la tenue vestimentaire (matière satinée du pantalon, vernis rouge, nu pieds avec des sangles bijoux, pantalon blanc se fondant dans le décor et mettant en valeur le buste du modèle habillé d’un chemiser sans manches de couleur bleu outremer, attaché par un seul bouton dévoilant une partie du ventre).
Considérant enfin qu’il fait valoir que l’expression faciale, la bouche légèrement entrouverte et le regard face à l’objectif manifestent également la pureté sensuelle du modèle ; qu’il a volontairement opté pour un maquillage et une coiffure naturels afin que soit révélée sa sensualité voluptueuse. /…/ qu’il s’est inspiré du tableau La  maja desnuda de Francisco d. par la position du modèle allongé sur le côté, sur une banquette dormeuse, les jambes légèrement fléchies ; qu’en outre la tête a été positionnée, délicatement en appui sur sa main afin de dégager son regard profond.”

Or, ayant trouvé ensuite sa photographie sur le site d’une société tierce (l’arrêt ne précise pas si la photographie utilisée faisait au moins mention de son nom en tant qu’auteur mais j’imagine que non), le photographe avait assigné ladite société devant le Tribunal, qui l’avait cependant débouté de sa demande. Il avait alors interjeté appel.

L’arrêt

Dans un arrêt du 6 avril 2012 (RG 11/07388 – Pôle 05, 2ème ch.), la Cour d’Appel de Paris va à son tour débouter le photographe sur base de la motivation suivante :

“Considérant que pour bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur une photographie doit être une création intellectuelle propre à son auteur, reflétant sa personnalité par ses choix dans la pose du sujet et son environnement, l’angle de prise de vue, le jeu des ombres et de la lumière, le cadrage et l’instant convenable de la prise de vue.

Considérant que les importants frais financiers allégués par (le photographe)  ne constituent pas un critère révélateur de sa personnalité dans la photographie revendiquée.

Considérant que sur cette photographie la nageuse Laure M., légèrement maquillée, est vêtue d’une veste bleue décolletée laissant apparaître son nombril, d’un pantalon blanc et de bijoux fantaisie aux chevilles ; que cette tenue ne présente aucune originalité particulière.

Considérant que le choix de la pose du modèle, allongé sur un canapé, n’est que la reprise d’oeuvres picturales connues, tel le tableau Olympia d., lui même inspiré de La Maja nue d. et de la Vénus d’Urbin par Titien et représente donc un caractère banal et n est pas de nature à révéler l’empreinte de la personnalité du photographe.

Considérant que le choix de l’environnement du modèle constitué simplement par un canapé recouvert d’une serviette blanche et, en arrière plan, un mur nu peint en blanc, est tout aussi banal.

Considérant enfin que le cadrage, l’éclairage et le moment de la prise de vue ne présentent aucune originalité particulière, le modèle étant photographié de face, en train de poser, sans jeu d’ombre ou de lumière susceptibles d’instaurer l’ambiance sensuelle revendiquée.

Considérant enfin que la combinaison de l’ensemble de ces éléments ne présente aucune créativité susceptible de refléter la personnalité de l’auteur de cette photographie et qu’ainsi (le photographe) ne saurait revendiquer une quelconque titularité de droits d’auteur sur ladite photographie.” (Arrêt, page 5)

Qu’en penser ?

Certes il y a eu inspiration d’un tableau classique, mais pour autant, cela n’exclut pas l’intervention du photographe dans la gestion des lumières, de l’ambiance, du décor, et des conditions de prise de vue.

Cet arrêt me paraît donc à ce niveau particulièrement sévère.

Je serais curieuse de voir si un peintre, peignant un sujet fortement inspiré d’une toile classique, verrait rejeter sa demande en contrefaçon suite à la découverte d’une utilisation frauduleuse de son tableau ? Pourquoi, à cet égard, la photographie devrait-elle pour prétendre à une protection impliquer une démonstration de l’originalité (dont aucune mention, je le rappelle, n’est faite dans le Code de la Propriété intellectuelle) alors que cette exigence ne semble pas posée pour les autres formes d’expression artistique ? Ou du moins pas de façon aussi sévère…

Le Code ne permet pas de conférer à certains arts une protection plus importante du seul fait de la technique utilisée… Pour me faire une idée, je viens de faire dans une banque de données juridiques en ligne une recherche sur les mots photographie + originalité, et pour la jurisprudence, cela me remonte 304 résultats. Une recherche identique, mais avec les mots peinture (ou tableau) + originalité en amène 24et 58 selon que j’utilise le mot “peinture” ou “tableau”, dont certaines apparemment pour des tableaux créés à partir de photographies. Soit il y a moins de copies, soit les peintres s’en plaignent moins souvent, soit enfin le critère est moins invoqué lorsqu’il s’agit de peinture.

Enfin, sur le plan du droit de la preuve, l’arrêt rappelle de façon claire que ce critère d’originalité doit être démontré par le demandeur lui-même (c’est là une application du principe général en matière de preuve civile : c’est au demandeur de rapporter la preuve des éléments qu’il invoque à l’appui de sa demande).

Et au final donc, si vous aimez la peinture et que vous souhaitez vous en inspirer dans un cliché, mieux vaut sans doute ne pas trop le détailler…
La Cour (et avant elle le Tribunal) aurait-elle elle-même fait le rapprochement entre la photo et le tableau ??

A bientôt

Joëlle Verbrugge

13 commentaires sur cet article

  1. Quand je vois de plus en plus d’affaires comme celle-ci, le métier de photographe commence à me faire gerber..!
    Franchement, ça devient n’importe quoi toutes ces conneries!

  2. Je suis toujours suppris par cette notion d’originalité. D’une part parce qu’elle me semblait avoir été retirée des textes de loi par le législateur mais pas dans le but de perdurer en jurisprudence, d’autre part car je trouve que ce n’est pas à un juge de définir l’originalité d’une photo (peut-il faire valoir d’une qualité d’expert en la manière ?) et enfin parce que ça valide le pillage de photographes amateurs moins expérimentés dans les choix techniques et artistiques…
    Et puis qui peux honnêtement dire “je ne suis pas inspiré par les classiques et la culture populaire (je n’ouvre mes yeux que pour faire des photos)” ?

  3. La présence de la nageuse dans un décor inspiré d’un tableau classique n’est pas vu comme étant l’expression de la personnalité de l’auteur ?

    A ce compte là je me demande sarcastiquement pourquoi ils ont pas pris directement le tableau pour leur site, la présence de la nageuse apporterait elle quelque chose à la photo que le juge n’a su déceler ?

  4. J’avoue ne pas comprendre comment un Tribunal peut avancer de tels arguments. Dès lors que vous faites une photo, peu importe sa qualité, son originalité, elle vous appartient et vous seul avez le droit de décider de qui peut l’utiliser. Quant à dire que “Considérant que le choix de la pose du modèle, allongé sur un canapé, n’est que la reprise d’oeuvres picturales connues, tel le tableau Olympia d., lui même inspiré de La Maja nue d. et de la Vénus d’Urbin par Titien et représente donc un caractère banal et n est pas de nature à révéler l’empreinte de la personnalité du photographe”, c’est tout bonnement inacceptable et c’est ignorer que tout créateur est forcément inspiré par les autres, quel que soit son domaine. Etre capable de valider le comportement inique de celui qui s’arroge le droit d’utiliser vos photos sans consentement et/ou contrepartie, c’est la porte ouverte à toujours plus d’abus. La photographie numérique présente une immense faiblesse en ce qu’elle est à la merci de tous dès qu’elle est présentée sur Internet. Des décisions de cette nature ne risquent pas d’inverser la tendance cleptomane de l’internaute en recherche d’images !

    1. « Dès lors que vous faites une photo, peu importe sa qualité, son originalité, elle vous appartient[…] »

      Non ! Vous ne pouvez pas confondre être propriétaire et être auteur… ou alors plus rien n’a de sens, ni dans le droit d’auteur, ni dans la création en général.

  5. Après lecture des deux textes, je constate que les juges mettent une différence entre le contenu et le contenant pour désigner une photo ( ce qui n’est pas normal).
    De plus, le juge applique la notion de créativité d’une image (photo) uniquement par rapport aux éléments figurants sur la photo (le contenu) , et non par rapport au “tout” (contenant et contenu).
    Avec la dématérialisation de nos jours de la photo, (la photo numérique) se pose alors une question essentielle.
    Protège t-on le figurant, c’est à dire le contenu de la photo, ou la photo dans sa forme totale (même si la support physique disparaît)?. Visiblement nos juges estiment que la notion de droit d’auteur doit s’appliquer uniquement au contenu, et non à la photo dans son ensemble.
    Je ne partage pas cette vision des juges car cette décision pourrait ouvrir la voix à des abus et au non respect du Droit d’auteur. Je pense qu’en réalité toutes photos (images) n’est qu’une représentation de la réalité et en tant que tel, il serait illusoire d’attendre d’un photographe une image supposée créative, donc unique.
    Ce qui est unique, donc capable d’être protégé c’est la photo dans son ensemble, l’angle de prise, le cadrage, la lumière, le fond, les couleurs, et le réel en un instant T.
    C’est donc la photo dans son ensemble (qu’elle soit dématérialisée ou non) qui doit être frappée du droit d’auteur et protégée comme tel.
    Une photo qu’elle soit belle, claire ou floue, est une oeuvre inédite et unique. Elle mérite d’être protégée.

    1. Le plus éreintant dans toutes ces affaires, c’est d’avoir toujours une épée de Damoclès au dessus de la tête quand on fait des photos… Avant c’était le droit à l’image, mais la jurisprudence s’est assouplie, maintenant c’est devoir se souvenir des réglages pour pouvoir justifier de l’originalité d’une photo pour en faire déballage devant un juge le jour où on te la piquera.
      Dingue quand même, après on s’étonne que les photographes soient paranos…

  6. A ce compte là on pourrait considérer qu’aucune photo n’est originale puisque tout, ou presque, à été peint, dessiné ou photographié sous toutes les coutures.
    La justice avance à grands pas… et les photographes se font piétiner.
    C’est décourageant.

  7. Bonjour Joëlle,

    après un tel rejet en cour d’appel, est-il possible d’aller au delà (Cour de Cassation, Cour Européenne…), car personnellement, nonobstant les frais, moi j’irais plus avant m’appuyant sur quelques extraits de ton analyse: “Le Code ne permet pas de conférer à certains arts une protection plus importante du seul fait de la technique utilisée…”, “Pourquoi, à cet égard, la photographie devrait-elle pour prétendre à une protection impliquer une démonstration de l’originalité (dont aucune mention, je le rappelle, n’est faite dans le Code de la Propriété intellectuelle)”.

    Donc en déboutant la cour d’appel, soit pour incompétence, soit pour partialité, soit pour motifs non conformes au CPI, bref les 3 à la fois…

    A bientôt, merci à toi, Alain

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