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Hasta siempre, Commandante ….. ça continue…

 

Bonjour
L’article d’aujourd’hui concerne une photo dont j’ai souvent parlé déjà sur ce blog. Nous retrouvons ici notre révolutionnaire cubain, photographié par Korda en 1960, et dont je vous ai déjà parlé à différentes reprises: ICIICI ICI ICI et ICI.

                                             © Korda – 1960

Le jugement dont il est question aujourd’hui nous permet d’aborder un point de droit non encore évoqué : celui de la responsabilité éventuelle d’un intervenant tiers qui n’est ni l’auteur poursuivant (ou ici ses héritiers)  ni le diffuseur poursuivi.

Les faits

Une société  exploitait un site  Internet sur lequel elle proposait des  produits à destination publicitaire, sous forme notamment de plaques émaillées.  Sur l’un des produits proposés, elle  avait utilisé la photo célèbre dont il est à nouveau question aujourd’hui, ce qui lui avait valu d’être assigné par les héritiers du photographe, de même d’ailleurs qu’un graphiste qui avait réalisé les visuels ayant servi à l’impression des articles vendus. Il est question non seulement de plaques émaillées, mais également d’un magnet et d’un cabat.   Ces produits étaient en outre également distribués par le biais de la plateforme de vente aux enchères eBay.

Les demandeurs sollicitaient donc qu’il soit fait interdiction – sous peine d’astreinte – de vendre les articles concernés, et bien sûr que soit prononcée une condamnation du chef de contrefaçon à l’encontre des deux défendeurs.  Ceux-ci se renvoyaient en outre la balle, l’exploitante du site web demandant que le graphiste soit condamné à la garantir de toute condamnation prononcée contre elle, et inversement.

Le jugement  (TGI Paris, 1/3/2013, RG 10/15745).

Je ne reviens plus sur la question de l’originalité de la photo, longuement débattue et expliquée dans les autres articles publiés à ce propos. Les défendeurs ne contestaient d’ailleurs pas que la photo soit protégeable (notre révolutionnaire commence à se faire sa propre jurisprudence, à force !).

Le Tribunal va en réalité procéder en deux temps :

Tout d’abord, face à l’argumentation du graphiste qui indiquait qu’il avait “agi comme simple prestataire de services et sous-traitant, sur instruction de la société” et ne pouvait dès lors se voir reprocher une contrefaçon, le Tribunal rappelle que “la contrefaçon est caractérisée indépendamment de toute faute ou mauvaise foi par la reproduction, la représentation ou l’exploitation d’une œuvre de l’esprit en violation des droits de propriété intellectuelle qui y sont attachés. Dès lors, la bonne foi invoquée par (le graphiste) est inopérante. Les atteintes portées aux droits patrimoniaux d’auteur tant par la société /…/ que par (le graphiste) sont donc caractérisées. Les demanderesses font en outre à juste titre valoir que les articles litigieux ne comportent aucune mention du nom de l’auteur de la photographie revendiquée, laquelle est au surplus reproduite parfois de manière altérée, recadrée et colorisée, de telle sorte que l’atteinte au droit moral d’auteur /… / est également caractérisée.”

A l’égard des  parties demanderesses, qui ne voient toutefois pas toutes leurs demandes financières accueillies, les deux défendeurs sont condamnés in solidum. Cela signifie, en clair, que les demanderesses peuvent, au moment d’exécuter le jugement, aller “secouer” l’une ou l’autre à leur choix, et à charge ensuite pour les demandeurs de se répartir la charge des condamnations.

Mais cette répartition sera par contre vite faite en l’espèce, car en ce qui concerne les relations entre la société qui diffusait les produits et le graphiste, le Tribunal va condamner la société à garantir le graphiste de toutes les condamnations prononcées contre lui. Non pas du fait de sa bonne foi, dont il a été indiqué ci-dessus qu’elle était inopérante, mais du fait que les entiers profits des vente revenaient à la société, qui n’avait pas laissé au graphiste de marge de manœuvre au moment de la conception des visuels, et qui l’avait rémunéré de façon forfaitaire pour son intervention ponctuelle, sans pouvoir vérifier que la société détenait bien les droits nécessaires pour la réalisation du travail demandé : “Ainsi, la société /…/ qui a fourni la photographie litigieuse (au graphiste) en ne pouvant ignorer qu’elle ne détenait pas les droits, a commis une faute à l’égard de ce dernier et doit le garantir de l’ensemble des condamnations prononcées à son encontre”.

Que retenir ?

J’ai souvent rappelé sur ce blog qu’en matière de contrefaçon, la responsabilité d’un professionnel est appréciée plus sévèrement,  du fiat précisément de sa qualité de professionnel, qui l’oblige à vérifier s’il est en droit d’utiliser les visuels. Ce jugement nous confirme toutefois qu’il faut qu’il s’agisse bien du professionnel “décideur”. Un éditeur dans le cadre d’un magazine ou d’un journal, un webmaster, etc.

Tout sera bien sûr question d’espèce. Ici, l’intervenant  était le graphiste qui avait effectué les manipulations sur le fichier à la demande du diffuseur, contre une rémunération forfaitaire non liée aux profits générés par la suite, ce qui explique que sa responsabilité n’ait pas été retenue, ce qui est logique.

Mais si l’intermédiaire est, par contre, une agence photographique, la solution sera nécessairement différente, puisqu’il lui appartiendrait alors de vérifier qu’elle dispose des droits de diffusion de la photo. Elle ne serait plus une simple “exécutante”

Mais cela ne change rien pour les demanderesses dans le cas d’espèce, puisque leur action est accueillie à l’encontre des deux défendeurs, le Tribunal ayant ensuite dans un second temps ventilé la responsabilité entre eux.

 

Bonne fin de journée à tous

Joëlle Verbrugge

 

3 commentaires sur cet article

  1. Merci pour le travail de suivi de ces affaires autour de la photo de Korda que vous avez accompli depuis plusieurs années sur ce blog.

    Néanmoins, ayant pris le temps de me replonger dans ces questions, je me suis rendu compte qu’il y a des arguments très convaincants permettant de penser que ce portrait du Che appartient au domaine public http://scinfolex.com/2013/10/10/revolutionnaire-et-si-la-celebre-photo-de-che-guevara-etait-dans-le-domaine-public/

    C’est la position qui est soutenue par Wikimedia et elle a des fondements qui méritent d’être examinés http://en.wikipedia.org/wiki/File:CheHigh.jpg

    En ce sens, il me semble tout simplement que les juges français font erreur et peut-être n’est-on pas à l’abri d’un nouveau retournement spectaculaire dans l’histoire de cette photo ?

    1. Bonjour. J’ai vu cet article en effet, très bien construit, bravo.
      La difficulté vient surtout du fait chaque législation a bien sûr sa propre conception de la durée des droits d’auteur. Et que le jeu sera alors d’examiner si la photo de Korda peut être soumise au droit français, auquel cas celui-ci s’appliquera…
      Le jugement en question évoquait cet aspect du problème au début, je n’ai pas creusé cette question qui est techniquement bien plus complexe que ce que les photographes acceptent de subir en terme de technicité du droit international privé ;-). Mais il est vrai qu’il y a de quoi argumenter..

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