L’Europe, la TVA et les photographes – Acte 3 – Le Conseil d’État se met au pas… mais rien de plus !
Publié le 17 décembre 2019
Sommaire
Bonjour à tous
Pour ceux d’entre vous qui ont encore bien en tête les deux premiers épisodes de cette saga fiscale et photographique, je vous propose donc l’épisode 3 aujourd’hui.
On se rafraîchit la mémoire !
Mais dans la majorité des cas, je crois qu’une petite piqûre de rappel peut être utile, et je vous suggère – que dis-je, je vous encourage vivement – donc de lire, dans l’ordre :
. L’acte 1, où j’expliquais les enjeux et les antécédents de la procédure
. L’acte 2, dans lequel j’évoquais l’arrêt rendu par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE)
Ce petit retour dans le temps étant à présent fait, voici la suite de la saga.
Acte 3
Comme je vous l’indiquais dans l’épisode 2, il restait donc au Conseil d’État (juridiction suprême en France dans l’ordre administratif) à mettre en pratique les réponses données par la CJUE suite aux questions qu’il lui avait posées.
L’article consacré à l’arrêt rendu par la CJUE terminait, sur ce blog, par la mise en garde suivante :
“Si vous êtes artisan, et que vous vous apprêtez, à la lecture de tout cela, à diminuer immédiatement votre TVA en prenant l’habitude de livrer des tirages originaux numérotés et signés à vos mariés, ATTENDEZ !
C’est trop tôt encore pour faire quoi que ce soit.
Il s’agit à ce stade d’une question préjudicielle, et le dossier revient à présent au Conseil d’État français qui va devoir se prononcer à l’encontre de l’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel.
Affaire à suivre, donc…”
Par un arrêt du 2 décembre 2019, le Conseil d’État (n°400837) va tirer les leçons de l’arrêt rendu par la CJUE.
Après avoir énoncé, au début de son arrêt, les questions qu’il avait posées à la Cour de justice de l’Union européenne, le Conseil d’État va successivement :
-
- Rappeler les faits du litige qui opposait la société française à l’administration fiscale (je me réfère à cet égard à mes articles des Actes 1 et 2).
- Reprendre ensuite l’enseignement de la CJUE sur le sens dans lequel il faut entendre le terme “d’auteur” au sens de cette disposition fiscale (et dans ce contexte uniquement !!! Voir mes propres conclusions sous l’article que vous êtes en train de lire !). Selon la CJUE, les dispositions fiscales européennes, qui doivent être appliquées de façon uniforme sur tout le territoire européen, ne font pas de distinction entre les termes “auteur” et “artiste”, et visent simplement la personne qui est l’auteur d’une photographie, quel que soit son statut administratif.
- Dès lors, poursuit le Conseil d’État, il suffit que les conditions posées par la loi pour un tirage numéroté et signé soient réunies pour que la TVA à taux réduit puisse s’appliquer. Pour rappel, le Code général des impôts définit l’oeuvre d’art, soumise à une TVA de 5,5%, de la façon suivante : “Photographies prises par l’artiste, tirées par lui ou sous son contrôle, signée et numérotées dans la limite de trente exemplaires tous supports et formats confondus” (Art. 98A-7° de l’Annexe III du Code général des impôts). Notez que cette définition est identique, à la virgule près, à la définition des tirages d’art au niveau européen (Annexe IX de la – longue – Directive 2006/112/CE “relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée).
- Pour cette raison, SI les conditions sont réunies, il n’est plus question pour l’État français d’ajouter de nouvelles conditions. Dès lors, l’administration qui refusait de reconnaître aux portraits et aux photographies de mariage une originalité suffisante les élevant “au rang d’une photographie prise par un artiste”, appliquait ainsi une condition non prévue par la loi.
- En conséquence, l’arrêt de la Cour administrative d’appel qui déboutait la société du photographe est annulé, et l’affaire est renvoyée devant la Cour administrative de Nantes.
Conséquences
ATTENTION toutefois aux conséquences que vous pouvez tirer de cet arrêt ! Au vu des messages qui me parviennent depuis hier, il semble urgent de remettre les pendules à l’heure. Je serai donc très précise sur ce qui va suivre:
OUI
Cet arrêt vous permet, SI vous êtes déjà ARTISAN photographe et que vous pratiquez la photographie de mariage ou de portraits, de facturer de la TVA à taux réduit lorsque vous vendez des tirages, POUR AUTANT que ceux-ci soient numérotés et signés dans la limite des 30 exemplaires par photo, tous supports et formats confondus ! En d’autres termes, au-delà des livres pour les mariés et tirages pour les invités, vous pourrez désormais envisager de proposer des tirages numérotés et signés et, si vous êtes assujetti à la TVA, de comptabiliser alors un taux réduit. Et ceci ne vaut bien sûr que pour les tirages qui répondent à toutes les conditions pour être considérés comme des oeuvres d’art ! PAS pour les tirages ordinaires et PAS non plus pour la prestation elle-même.
NON,
Cet arrêt ne signifie ABSOLUMENT PAS que les auteurs-photographes, exerçant sous un statut administratif d’artiste, pourraient désormais proposer des prestations de mariage ou de photographie familiale !!!!! Ces activités restent distinctes et les auteurs-photographes, lorsqu’ils vendent des tirages numérotés et signés (seule forme matérialisée sous laquelle leurs tirages peuvent être vendus) continueront bien sûr à appliquer un taux réduit de TVA et à respecter les conditions légales pour qu’un tirage d’art soit considéré comme tel. Je rappelle que la photographie dite “sociale”, c’est-à-dire les mariages, commandes familiales, nouveaux-nés et événements familiaux divers ne sont PAS des activités ouvertes aux artistes. Proposer ou accepter de telles prestations serait non seulement du travail dissimulé pour l’auteur, mais également de la concurrence déloyale à l’égard des artisans régulièrement inscrits !
SANS DOUTE
Il reste à évoquer une situation qui posait souvent difficulté par le passé, et dont le règlement POURRAIT devenir plus facile. Il s’agit de l’hypothèse dans laquelle un auteur-photographe réalise par exemple des photographies “corporate” impliquant donc une cession de droits à l’entreprise qui va se servir des photographies pour sa communication, et inclut dans son offre un portrait du dirigeant et la vente d’un tirage numéroté et signé de cette photographie-là. La situation, par le passé, était très tendue et je conseillais – et conseille toujours !!! – d’envoyer à l’administration fiscale une demande de rescrit pour que le photographe se voie confirmer la possibilité d’une telle pratique malgré son statut d’auteur. Il est PROBABLE (mais encore trop tôt pour l’affirmer avec certitude) que l’arrêt rendu par la CJUE et à sa suite par le Conseil d’État vont aider l’auteur-photographe dans cette situation précise. Mais l’évolution se situera UNIQUEMENT, pour l’artiste, à cet égard. Il est hors de question, comme indiqué plus haut, d’en déduire autre chose !
J’espère que tout cela vous paraît à présent plus clair.
Pour tous les artisans qui pratiquent le mariage, je vous conseille aussi (à nouveau) la lecture de cet article gratuit qui vous sera utile, si vous n’avez pas encore adapté votre contrat au RGPD. Ceci ne suffira pas à réaliser une mise en conformité complète à ce règlement sur la protection des données personnelles, mais ce sera une pierre à votre édifice. Je reprends ci-dessous les visuels des publications susceptibles de vous intéresser à ce niveau :
- Pour les artisans :
Cet article complète notamment :
- Pour tous les professionnels, auteurs ou artisans, TOUS soumis au RGPD :
Cet article a répondu à vos questions ? Il vous a aidés ? Faites-le circuler, il peut aider d’autres personnes… y compris moi-même et l’éditeur de ces ouvrages. Nous avons une foule d’autres idées de livres, et les possibilités d’éditer tout cela dépendent aussi du succès des premiers.
Au rayon des bonnes nouvelles, je vous annonce que le prochain “Checklist” – rédigé à 4 mains -, est en excellente voie… Nous approchons de la fin, et le public visé sera très très très large !!! Nous espérons pouvoir venir vous annoncer cela le plus vite possible (et croyez-moi, la période entre le moment où le point final est mis à un ouvrage et celui où il est enfin temps de vous l’annoncer paraît toujours très très très longue à l’auteur).
Je reviens également sur la formation organisée à Limoges en février 2020. Infos par ici :
Enfin, je vous rappelle le sondage que j’avais publié dans un précédent article du blog et que je vous encourage toujours à remplir si vous le souhaitez. C’est parfaitement anonyme.
À très bientôt.
Joëlle Verbrugge
Encore une chose qui va mettre de l huile sur le feu sur les differents statuts et regimes possibles pour les photographes avec les problematiques de compatibilité et de cumul
On pourrait egalement deduire autre chose de cet arret : il ne suffit pas de relever de la Securité Sociale des artistes auteurs pour vendre des oeuvres d arts ou des droits d auteurs
Autrement dit : un Micro Entrepreneneur ou un artisant peut il vendre des oeuvres d arts ou des droits d auteurs ce qui releve habituellement de l agessa ou de l Agessa
Joelle, en plus de mettre de l huile sur le feu, je t amene la friteuse….lol
Eric Hainaut
http://www.comcom.fr
Merci Joelle (et Eric !) de déchiffrer tous ces éléments pour nous
Très belle année 2020 avec beaucoup de photos et très peu de difficultés administratives !
Bonjour, merci pour cet article.
Il me vient quelques questions sur l’application du taux réduit sur les tirages éligibles.
Le régime fiscal de l’auteur aurait il de l’importance ?
Quid dans le cas d’associés au sein d’une même société ?
Une société détenue par une personne morale pourrait elle envisager de bénéficier de ce statut d’auteur tout de même ?
Il est admis qu’une prise de vue puisse être réalisée à l’aide de plusieurs intervenants sous réserve qu’elle soit sous le contrôle de l’auteur, ces intervenant devraient ils nécessairement être des collaborateurs salariés ?